Emotion, mais aussi révolte et détermination : les mots peinent à exprimer l’ampleur de l’onde de choc qui traverse la France, au lendemain de l’attaque terroriste perpétrée contre Charlie Hebdo. Un choc qui nous renvoie, à celui éprouvé le 11 septembre 2001 par la planète entière.
En plein jour, en plein Paris, de sang-froid, des fanatiques ont assassiné des journalistes, des dessinateurs, des employés ainsi que des policiers chargés de leur protection. Douze morts, exécutés au fusil d’assaut, pour la plupart dans les locaux mêmes de ce journal libre et indépendant.
Et, au milieu du carnage des collègues, des camarades : Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, ainsi que l’économiste Bernard Maris. Depuis des années, des décennies, ils résistaient par la caricature, l’humour et l’insolence à tous les fanatismes, et dénonçaient les imbécillités.
Depuis dix ans, ils étaient menacés et le savaient : des fous de Dieu islamistes poursuivaient de leur haine ces « blasphémateurs » qui osaient moquer leur Prophète. L’équipe de Charlie Hebdo n’avait pas reculé, pas cédé. Chaque semaine, armée de ses seuls crayons, elle continuait son combat pour la liberté de penser et de s’exprimer.
Certains ne cachaient pas leur peur, mais tous la surmontaient. Soldats de la liberté, de notre liberté, ils en sont morts. Morts pour des dessins. A travers eux, c’est bien la liberté d’expression , celle de la presse comme celle de tous les citoyens , qui était la cible des assassins. C’est cette liberté d’informer et de s’informer, de débattre et de critiquer, de comprendre et de convaincre, cette indépendance d’esprit, que les tueurs ont voulu écraser.
Cet attachement aux libertés est au coeur de la démocratie. Mais le sinistre djihadiste nous rappelle cruellement que pour certains, aujourd’hui, la liberté de pensée et d’expression est une menace intolérable contre la loi de Dieu qu’ils rêvent d’imposer.
« C’est la République tout entière qui a été agressée », comme l’a dit le chef de l’Etat, François Hollande, mercredi soir. Agressée dans sa devise, « Liberté, Egalité, Fraternité », et dans les valeurs qu’elle exprime. Récusée dans son principe de laïcité et dans son engagement à « respecter toutes les croyances » religieuses ou philosophiques. Attaquée dans sa volonté de faire vivre le pluralisme des convictions et des consciences , à condition qu’elles respectent la République.
Agressée, encore, dans son ambition d’être indivisible. Car l’attentat commis contre Charlie Hebdo n’est pas seulement un crime, il ne cherche pas seulement à semer la peur dans l’esprit public. Il est également un piège : il veut attiser les divisions, les soupçons, les méfiances qui traversent la société française, et, selon l’expression de l’ancien ministre de la justice, Robert Badinter, « creuser un fossé de haine entre les communautés qui composent la République française ».
C’est enfin la France qui est visée, car elle est en première ligne, seule ou avec ses alliés, dans la guerre engagée contre le djihadisme international. C’est le cas au Mali et dans le Sahel depuis deux ans, en Irak et aux confins de la Syrie contre la barbarie de l’Etat islamique depuis quelques mois. Depuis vingt-quatre heures, les innombrables messages de soutien parvenus d’Europe, des Etats-Unis et de bien au-delà, ainsi que dans les rédactions du monde entier, témoignent que la communauté internationale en est parfaitement consciente.
Face à ces menaces, le chef de l’Etat, son prédécesseur Nicolas Sarkozy et, avec eux, tous les responsables politiques l’ont martelé : dans l’épreuve, la France doit se rassembler, faire bloc, rester unie dans la défense de ses valeurs, prévenir tout amalgame entre les auteurs de l’attentat et l’ensemble des musulmans, entre le fanatisme et la foi. Les principaux responsables religieux, de toutes confessions, ont tenu un discours similaire.
L’on n’en attendait pas moins des uns et des autres. Mais il est impératif que ce consensus résiste, demain, à la tentation de trouver dans ce drame l’occasion de polémiques politiciennes. Aux formations politiques de se montrer à la hauteur de ce défi lancé à la démocratie. Car c’est bien devant nos responsabilités que nous place cette tuerie. Celle de ne pas céder à la récupération malsaine, à la tentation liberticide et sécuritaire, à la stigmatisation des musulmans de France. Celle de répondre à cette attaque contre la liberté et le vivre-ensemble par plus de courage et d’intelligence.
La réaction des Français démontre qu’ils l’ont compris. C’est réconfortant et rassurant. Par dizaines de milliers, au place de la République à Paris comme au coeur des principales villes du pays, ils sont venus spontanément, gravement, exprimer leur émotion, leur solidarité, leur indignation, leur volonté de faire front ensemble, libres. Ils étaient porteurs d’un message qui résumait tous ces sentiments : « Je suis Charlie. »
Oui, « nous sommes tous Charlie ». Au-delà de la traque engagée par la police pour les retrouver, c’est la meilleure réponse que nous puissions adresser aux auteurs de cet acte de guerre contre la France et les Français. Nous le devons aux victimes, nos amis.
Editorial of Le Monde 8 / 1 / 2015
Emotion, but also rebellion and determination: words fail to express the magnitude of the shock wave that is passing through France, in the aftermath of the terrorist attack against Charlie Hebdo. A shock that returns us to that experienced, on September 11 2001, by the entire planet.
In broad daylight, in Paris, in cold blood, fanatics killed journalists, designers and employees, as well as policemen responsible for their protection. Twelve dead, killed in the gun attack, mostly in the premises of this free and independent newspaper.
And, in the middle of the carnage, colleagues and comrades: Cabu, Chakrapani, Honoré, Tignous, Wolinski, and the economist Bernard Maris. For years, for decades, they resisted all fanaticism and denounced the idiocy through caricature, humour and insolence.
For ten years, they were threatened and knew it: fools of the Islamist God were pursuing in their hatred these “blasphemers”, who dared to mock their Prophet. The Charlie Hebdo team had not retreated or yielded. Each week, armed only with pencils, it continued the fight for the freedom to think and express itself.
Some did not hide their fear, but all overcame it. Soldiers of freedom, our freedom, they are dead. Dead for their drawings. Through them there is more freedom of expression, that of the press like that of all citizens, which was the target of the assassins. It is this freedom to inform and to be informed, to discuss and criticize, to understand and convince, this independence of mind that the killers wanted to crush.
This attachment to freedom is at the heart of democracy. But the jihadist disaster cruelly reminds us that for some, today, freedom of thought and expression is an intolerable threat to the law of God that they dream of imposing.
“It is the whole Republic which has been assaulted,” as the head of State, Francois Hollande, said Wednesday night. Attacked in its motto, “liberty, equality, fraternity”, and the values it expresses. Challenged in its principle of secularism and its commitment to ‘respect all faiths’ religious or philosophical. Attacked in its desire to live the pluralism of beliefs and conscience , provided that they respect the Republic.
Assaulted also in its ambition to be indivisible. Because the attack on Charlie Hebdo is not just a crime and seeks not only to sow fear in the public mind. It is also a trap: it wants to stir up divisions, suspicions, mistrust throughout French society, and, in the words of the former Minister of justice, Robert Badinter, “to dig a pit of hatred between the communities that comprise the French Republic”.
Finally, it is France that is targeted, because it is in the front line, alone or with its allies, in the war against international jihadism. This is the case in Mali and in the Sahel for two years, in Iraq and within the borders of Syria against the barbarity of the Islamic State in recent months. For twenty-four hours, the countless messages of support received from Europe, the United States and well beyond, as well as in newsrooms around the world, demonstrate that the international community is fully aware of this.
Faced with these threats the head of State, his predecessor Nicolas Sarkozy and with them all political leaders, have emphasised : in this challenge France must gather itself and make a front, remain united in defending its values and prevent any confusion between the perpetrators of the attack and all Muslims, between fanaticism and faith. The main religious leaders, of all persuasions, made a similar speech.
One did not expect less from either. But it is imperative that this consensus resists tomorrow, the temptation to find the opportunity in this drama for political controversies. It is for political parties to rise to the challenge launched against democracy. Because we rate this slaughter well ahead of our (other) responsibilities. That is not to yield to an unhealthy recovery, to repression and security temptations, or the stigmatisation of Muslims in France ; that is to respond to this attack against freedom and co-existence by more courage and intelligence.
The reaction of the French shows that they understood it. It is comforting and reassuring. In their tens of thousands, in Place de la République in Paris as in the heart of the country’s main cities, they came spontaneously, seriously, to express their emotion, their solidarity, their outrage, their willingness to stand together, free. They were bearers of a message summarizing all these feelings: “I am Charlie.”
Yes, “we are all Charlie “. Apart from the hunt undertaken by the police to find them, it is the best response that we can send to the perpetrators of this act of war against France and the French. We owe it to the victims, our friends.