Du journaliste professionnel de ses débuts, Camus est passé au résistant « militant », puis à l’écrivain engagé, sous la forme de l’éditorialiste de presse.
Dans l’Alger Républicain où il a fait ses débuts, Camus se fait polémiste, critique de la société et du système politique, dans le contexte de la montée du fascisme avant guerre et parfois dans la tradition dreyfusiste.
A Combat, issu de la Résistance, il essaie de réaliser les nobles objectifs de vigilance et d’objectivité, dérivés de l’esprit de la lutte contre l’Occupant et ses collaborateurs. Il élabore la notion de journalisme critique, en s’efforçant de distinguer toujours opinion et information. Mais le temps du lyrisme de la Libération cède bientôt le pas au désenchantement des années de l’Après-guerre.
C’est à L’Express que Camus, notamment au sujet de la Guerre d’Algérie, qui l’obsède, donne la pleine mesure de son oeuvre de chroniqueur journalistique, qui comporte aussi une part de proposition, à côté de l’analyse de la situation. L’écrivain arrivé apporte la caution de son prestige à un journal.
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LE JOURNALISTE par Jeanyves Guerin – Sorbonne Nouvelle
Camus a tôt voulu écrire. Pour être écrivain, il a dû se faire écrivant. L’occasion s’est présentée à lui d’être journaliste. Alors qu’il répugne à se dire « intellectuel » ou « philosophe », il se désigne soit comme « artiste » ou « écrivain » soit comme « journaliste professionnel ». C’est, confie-t-il un jour, « une des plus belles professions que je connaisse ». Reste que s’il n’avait pas écrit L’Étranger, Caligula et La Peste, il est certain qu’Actuelles n’aurait pas existé en tant que livre. Qui hormis de rares historiens connaîtrait l’obscur reporter d’Alger républicain ? L’éditorialiste de Combat n’aurait pas plus de notoriété que son confrère Marcel Gimont. L’Express enfin n’aurait pas cherché à obtenir sa signature. Nous allons étudier ces trois moments de sa carrière.
Alger républicain
C’est à Alger républicain que Camus a fait ses débuts. Du 6 octobre 1938 au 28 octobre 1939, un petit journal portant ce nom a porté les idéaux du Front populaire. Ses actionnaires appartiennent à la bourgeoisie européenne. Ce sont des enseignants de tous degrés, des négociants, des fonctionnaires syndiqués. Ils ont socialistes, démocrates, républicains, laïques. Ils ont confié la direction du journal à un intellectuel venu de Paris, Pascal Pia. Les professionnels, à ses côtés, sont peu nombreux et ce sont alors des débutants, mais, à l’instar de Camus, ils acquièrent vite le métier.
L’opposition à l’hydre fasciste – à Hitler, Mussolini, à Franco – est ce qui les réunit. Sa gestation a été longue et, de fait, son lancement coïncide avec les accords de Munich. Le rassemblement est alors à l’agonie, mais il semble qu’on n’en ait pas la claire conscience à Alger. Le journal est militant mais « sans parti pris ». C’est dire que sa ligne se veut œcuménique. Il est pauvre aussi et le reste jusqu’à son dernier jour. Son tirage tombe rapidement de 20.000 à 7.000 exemplaires.
À l’automne 1939, Alger républicain se donne un frère, Le Soir républicain, qui prend son relais. Camus, dont Pia apprécie la plume, en est le rédacteur en chef. Il mène une guérilla contre la censure avec des procédés du Canard enchaîné. Arrive ce qui doit arriver : le gouvernement général suspend la parution du journal en janvier 1940. Le trublion libertaire doit quitter son Algérie natale.
Alger républicain a servi d’école de journalisme à Camus. Au départ, il est un modeste repiqueur de dépêches et un localier. « Les chiens écrasés et du reportage » : le métier est « décevant », confie-t-il à son maître Jean Grenier ; mais il apprécie qu’il lui laisse du temps pour écrire son œuvre. On attribue lui 150 articles. Des reportages, il est vite passé à des éditoriaux. Il aussi été critique littéraire, parlant, à chaque fois qu’il le pouvait, des livres qu’il avait aimés. Le travail de Camus consiste d’abord à rechercher et à rapporter des faits. Il part souvent d’un événement, fut-ce un fait divers. Puis il cherche à en clarifier les enjeux sociaux et politiques.
Ainsi, une explosion de gaz dans un quartier populaire fait-elle l’objet de plusieurs reportages avant que soit mis en cause un maire d’Alger indifférent au sort de ses concitoyens : « Un maire digne de ce nom ne s’énerve ni se fâche. Il s’intéresse au sort de ses administrés, leur fait distinguer les vrais responsables, ne leur en veut pas de se trouver désorienter par le malheur qui les frappe ». Le journaliste citoyen s’interdit la prose lyrique qui, au même moment, nourrit Noces. Souvent, il est vrai, le sujet ne se prête pas aux grands élans. Ainsi, quand il lui faut parler du budget municipal ou relater les travaux de la chambre d’agriculture.
À l’occasion, Camus se fait persifleur, polémiste. Il a ses bêtes noires, le « regrettable » maire d’Alger, Augustin Rozis, les notables et le président du conseil, Édouard Daladier. Du premier il écrit : « La médiocrité a sans doute des droits. Elle ne les a pas tous. Pour parler clair, elle a le droit d’être ridicule, mais pas celui d’être odieuse » Le maire affronte-t-il les employés municipaux, Camus justifie longuement les revendications de ceux-ci. La conclusion de l’article claque : « M. Rozis trouve devant lui le mur syndicaliste, uni, sans fissure. Il avait rêvé seulement d’être dictateur. Et il s’est réveillé adjudant ».
Son compte-rendu d’une élection sénatoriale est une saynète digne de Courteline. Deux ténors de la politique locale s’affrontent. « Les voix montent. Est-ce un marchandage ? Va-t-on vendre un bœuf ou acheter du foin ? Non, c’est M. Mallarmé qui réclame le droit de représenter quelques milliers de Français. On attend la bagarre. Mais nous sommes entre gens du monde. Le calme revient. »
On citera aussi un compte-rendu de conseil municipal. Camus montre que, si personne ne s’intéresse au débat, c’est que tout est joué d’avance. « Pendant que M. Leclerc entame son préambule, M. Dumord dessine avec application., M. Salles signe à tour de bras dans un grand registre dont il fait tourner les pages à une allure vertigineuse, M. Bernard pétrit et sculpte des morceaux de papier et M. Rozis fait de la télégraphie avec quelqu’un au fond de la salle ». Le conseil s’amuse. Une institution composée d’hommes aussi frivoles coûte cher au contribuable. La formule est au point : un événement, un lieu et un moment, des protagonistes, quelques propos pris sur le vif. L’écrivain fait ses classes.
Camus se montre très virulent à l’égard de Daladier. Le président du conseil a obtenu de légiférer part décrets-lois. Les sacrifices qu’il leur demande lui ont aliéné les syndicats et les fonctionnaires. Est-il pour autant un fossoyeur du Front populaire et un fourrier du fascisme ? Un premier article donne des faits et des chiffres. Un deuxième, beaucoup plus polémique, range Daladier parmi les élèves-dictateurs. Le troisième, littérairement plus intéressant, est un savoureux « dialogue ». Camus imagine ce que peuvent se dire le président du conseil, sûr de lui, roué et paternaliste, et un modeste employé. L’entretien tourne court car, à bout d’arguments, le président appelle les gardes mobiles.
Au-delà de Daladier, à l’égard duquel les historiens peuvent le trouver injuste, c’est aux professionnels de la politique que s’en prend le jeune journaliste. Dans la tradition dreyfusiste, Camus se passionne pour plusieurs affaires. Il ne consacre pas moins de onze articles aux procès d’un employé trop scrupuleux, Michel Hodent, contre lequel les grands colons ont monté une machination, puis d’un dignitaire musulman, le cheikh El-Okbi accusé d’avoir fomenté le meurtre du grand mufti, enfin d’indigènes auxquels on reproche l’incendie de gourbis. Dans le premier cas, prenant l’opinion à témoin, il s’érige en accusateur non professionnel d’une institution dévoyée. Cette stratégie est celle de Voltaire lors de l’affaire Calas. Grâce à ces « campagnes », Michel Hodent et le cheikh retrouvent leur liberté et leur dignité. Camus n’a pas hésité à dire « je ». Il découvre l’efficacité de la plume.
Lorsqu’en 1958, Camus réunit ses écrits journalistiques sur l’Algérie, il ne garde de ceux écrits avant 1940 que sept des onze articles qui constituent l’ensemble surtitré « Misère de la Kabylie »11. Comme André Gide écrivant Voyage au Congo, il livre un témoignage, des choses vues auxquelles il refuse de donner une parure exotique, non un pamphlet anticolonialiste. Son enquête de terrain remet en cause le discours officiel qui ressasse les bienfaits de la colonisation. Les habitants se nourrissent d’herbes et de racines. Des enfants en loques disputent aux chiens le contenu des poubelles. Le reporter avoue sa « mauvaise conscience ». « Rien ne vaut les chiffres, les faits et l’évidence des cris ». Il fournit une accumulation de statistiques pour dire la surpopulation, le chômage massif, les salaires dérisoires. Le réseau routier est en mauvais état, les écoles ardemment demandées par la population et les dispensaires sont rares, l’eau manque. Le constat tombe : « La misère de ce pays est effroyable ». La faute en revient non à la population kabyle mais à l’administration coloniale : la Kabylie a été laissée à l’abandon. C’est tout un peuple qu’humilie un « régime d’esclavage ».
Ces articles, entre récits et essais, proposent non seulement un témoignage, mais aussi une analyse : la misère a des causes économiques et sociales. Dans sa conclusion, le reporter se défend d’avoir écrit un acte d’accusation. Il suggère des mesures immédiates et surtout demande aux politiques de prendre leurs responsabilités. Misère de la Kabylieappartient à l’histoire dans la mesure où ce texte met à jour les frustrations et humiliations qui sont à l’origine du nationalisme algérien. L’état de guerre amène la réactivation de la censure. Il est moins que jamais facile de « maintenir une opinion libre », de « servir la vérité », de préserver « les droits de la froide raison » : l’heure est au « bourrage de crane ».
Au Soir républicain, Camus a choisi la stratégie du harcèlement et de la provocation. Il se démultiplie en divers pseudonymes (Alius, Démos, Irénée, Marco, Jean Mersault, Vincent Capable, Zaks), il reproduit de nombreux extraits de journaux, documents historiques et textes classiques ou modernes (par exemple, l’article « guerre » du Dictionnaire philosophique qui est partiellement censuré) dans une rubrique intitulée « sous les éclairages de guerre ». Il s’agit de faire réfléchir les lecteurs, de contester, d’exhiber les discours, les vérités de guerre. Les actionnaires reprochent à Camus d’avoir hâté la fin de l’aventure. Dans une lettre à Jean Grenier, il reconnaît avoir mené un jeu personnel : « … J’en ai fait un journal à l’usage de ce « Dialogue entre un président du conseil et un employé à 1200 francs par mois », que je croyais vrai. C’est à dire que j’y ai défendu la liberté de penser contre la censure et la guerre sans haine ». Il a voulu mener un combat perdu d’avance en faveur des libertés individuelles et collectives. Ce combat, il va le reprendre dans une autre conjoncture événementielle.
En attendant, devenu chômeur, il doit s’installer en France. Pascal Pia le fait embaucher comme secrétaire de rédaction à Paris Soir. Il n’y publie pas la moindre ligne, mais y découvre ce qu’est un grand journal populaire.
Combat
Combat was a French newspaper created during the Second World War. It was founded in 1941 as a clandestine newspaper of the Resistance. Following the liberation, the main participants in the publication included Albert Ollivier, Jean-Paul de Dadelsen, Jean Bloch-Michel (1912–1987), and Georges Altschuler (fr). Among leading contributors were Jean-Paul Sartre, André Malraux, Emmanuel Mounier, Raymond Aron and Pierre Herbart (fr).[1] From 1943 to 1947, its editor-in-chief was Albert Camus.[2] Its production was directed by André Bollier until Milice repression led to his death.
In August 1944, Combat took the headquarters of L’Intransigeant, 100 Rue Réaumur (fr) in Paris, while Albert Camus became its editor in chief. The newspaper’s production run decreased from 185,000 copies in January 1945 to 150,000 in August of the same year:[clarification needed] it wasn’t able to rival with others established newspapers (the Communist daily L’Humanité was publishing at the time 500,000 copies). During 1946, Combat was opposed to the “game of the parties” claiming to rebuild France, and thus became closer to Charles de Gaulle without, however, becoming the official voice of his movement.
Loyal to its origins, Combat tried to become the place of expression for those who believed in creating a popular non-Communist Left movement in France
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À l’été 1944, de nombreux périodiques naissent. Nombreux sont les écrivains qui se font journalistes. Camus avait été le rédacteur en chef du journal clandestin Combat, à la demande encore de Pascal Pia. Il le reste tout naturellement à la Libération. Il est à la fois l’animateur de l’équipe rédactionnelle, un débatteur et un apporteur d’idées. Il fait fonction d’éditorialiste principal. Une exception : il s’envoie comme reporter en Algérie et en rapporte 8 articles – dont 6 seront repris dans Actuelles III. Combat, au départ, tire à 200.000 exemplaires. Avec son équipe jeune et pluraliste, ce journal se veut l’expression de la Résistance. C’est aussi « le journal de Saint-Germain-des-prés ». Son lectorat est jeune, il est fait d’intellectuels, d’enseignants, d’étudiants, de syndicalistes. Son modèle est Vendredi, l’hebdomadaire fondé par les intellectuels soutenant le Front populaire, son anti-modèle Paris Soir. Peu de journaux réunissent alors autant d’écrivains dans leur rédaction. La « disproportion », écrit Raymond Aron, est marquée entre « la substance grise » et « l’espace rédactionnel disponible ». Aux résistants, la presse collaborationniste a laissé un sentiment de dégoût. Celle des années 1930 était notoirement « vendue », « pourrie ». Dès août 1944, le général de Gaulle promulgue des ordonnances qui réglementent la presse.
Au même moment, Camus entend fixer la déontologie d’une presse rénovée. Une idée est alors l’objet d’un consensus au moins apparent ; il la module à diverses reprises : la presse, parce qu’elle a une mission de service public, doit être libérée de l’argent. « Vigilance » et « objectivité » doivent être ses maîtres mots. La « fière objectivité » doit prévaloir sur la vaine « rhétorique ». Dans un deuxième article, il élabore la notion de « journalisme critique ». « On veut, écrit-il, informer vite au lieu d’informer bien ». Mieux vaut, selon lui, être le second à donner une information exacte que le premier à donner une information qui se révèlera fausse. « On cherche à plaire plutôt qu’à éclairer ». On recherche le scandale. Un principe s’impose : « L’information (…) ne peut se passer d’un commentaire critique ». Plus les nouvelles s’accumulent, plus elles doivent être décapées et triées.
La sélection, le traitement puis la hiérarchisation des nouvelles, telles sont les tâches du journaliste. Il lui revient de séparer les certitudes, les probabilités, les invraisemblances, les absurdités, de dire clairement ses doutes et ses réserves. Il s’adresse à l’intelligence de ses lecteurs, non à leur sensiblerie. Le fait, on le sait, est fils de la critique et la critique fille du fait. Tout discours qui émane d’une source, d’une agence ou d’une institution officielle, est à prendre avec précaution. Quand il enquête en Algérie, en avril 1945, il se garde de relayer le discours officiel. Que Sartre n’a-t-il fait de même en URSS et à Cuba… La distinction de l’information et de l’opinion est cardinale pour Camus. « Le souci d’objectivité » exclut « le parti pris », la « solidarité systématique » et, bien entendu, son contraire, l’opposition systématique. L’important est la « fidélité à ses propres principes et aux promesses qu’on s’est faites ». Pour parler vrai, il faut parler juste et clair. On peut protester sans injurier et morigéner sans calomnier. La clandestinité, estime-t-il encore, a appris « le poids », le « prix des mots ». « À des temps nouveaux il faut sinon des mots nouveaux, du moins des dispositions nouvelles de mots ». « Un langage clair », « un langage respectable », des « termes clairs et irréprochables », une « juste voix » : il a là un leitmotiv typiquement camusien.
Ailleurs, le journaliste évoque l’« effort d’exactitude » et la « recherche des nuances ». « Le goût de la vérité, écrit encore Camus, n’empêche pas la prise de parti ». Le « commentaire moral et politique de l’actualité », pour ne pas être partisan, nécessite de la « distance », des « scrupules », une idée de la relativité ».Le moment est venu, écrit Camus, d’introduire « dans l’exercice de la politique » (…) le langage de la morale »
Pas question pourtant, fût-ce par réalisme politique, de faire de l’éditorial l’expression d’une idéologie ayant réponse à tout. La fonction critique s’oppose à la fonction idéologique. L’éditorialiste pose des questions, il n’assène pas des réponses. Il n’apporte pas la lumière de la vérité, il aide à voir clair. Sans lésiner sur les grands mots, Camus pose quelques principes et exigences. Il affirme que l’éthique doit borner le politique.
Dès novembre 1944, le rédacteur en chef de Combat avoue que la bataille de la rénovation de la presse est près d’être perdue. Match a reçu l’autorisation de reparaître. Pierre Lazareff, de retour, a tôt fait de transformer Défense de la France en un France-Soir sensationnaliste. En un temps où la pénurie de papier réduit les quotidiens à une feuille recto verso, que la venue de Marlène Dietrich à Metz suscite l’indignation de l’éditorialiste. Quand on découvre les camps de la mort, certains journaux s’attardent sur les forfaits du docteur Petiot.
Quand l’esprit de lucre et l’esprit d’orthodoxie reviennent, Combat, loin de faire école, agace avec sa revendication d’un magistère moral, ses remontrances aux confrères. Camus est obligé d’écrire qu’il ne possède pas « le privilège de la clairvoyance et la supériorité de ceux qui ne se trompent jamais » mais qu’il veut simplement « collaborer à une œuvre commune (…) par l’exercice périodique de quelques règles de conscience ». Trois ans plus tard, il se montre désabusé : « Chaque fois qu’une voix libre s’essayera à dire, sans prétention, ce qu’elle pense, une armée de chiens de garde de tout poil et de toute couleur aboiera furieusement pour couvrir son écho »
Les articles déontologiques de 1944 ont été d’autant mieux reçus que la presse, quatre ans durant, avait été aux ordres. Ils font encore référence aujourd’hui. L’information étant une marchandise et la logique économique prévalant, ils ont pris les couleurs de l’utopie. Ce qui alors apparaissait neuf nous semble partiel. Il manque à Camus de s’interroger sur la formation des journalistes, le pouvoir et le contre-pouvoir dans l’entreprise de presse (La première société de journalistes se constitue en 1951, au Monde). Il met l’accent sur l’éthique professionnelle des journalistes sans se demander comment des institutions peuvent la réguler.
« Il est de ceux, écrit Emmanuel Mounier, qu’on voudrait avoir pour adversaires ». Le jeune journaliste du Soir républicain avait pris goût aux polémiques et s’en prenait aux autorités locales. L’éditorialiste de Combat prend place dans un concert démocratique. Il débatcourtoisement avec ses homologues de L’Aube, de L’Humanité, de Témoignage chrétien. Il traite d’égal à égal avec ses prestigieux aînés du Figaro, François Mauriac et Jean Guéhenno. Il persifle seulement la naissance du Monde.
Qu’il soit signé de Camus ou d’un autre ou qu’il soit anonyme, l’éditorial de Combat, au moins dans un premier temps, est le résultat d’une délibération collective. D’où l’emploi massif de la première personne du pluriel pour dire ambitions, espoirs et impatiences. On en repère jusqu’à 38 occurrences dans un article où, et cela fait sens, Camus précise l’attitude du journal par rapport au parti communiste. Quand il interpelle le gouvernement provisoire ou quand il sermonne les socialistes quand il critique les louvoiements du pape ou quand il s’en prend au revenant Édouard Herriot, il est manifeste qu’il s’exprime au nom de la rédaction. De même, quand il signe un émouvant tombeau de René Leynaud, jeune poète fusillé par les Allemands, il le fait au nom de ses camarades. Ce recours au « nous » traduit une évolution intellectuelle. « Dans l’expérience absurde, la tragédie est individuelle, à partir du moment de la révolte, elle a le sentiment d’être collective ». L’Étranger était le roman du « je », La Peste est le roman du « nous ».
Il arrive pourtant que Camus use du « je ». Son débat avec François Mauriac sur l’épuration cristallise l’affrontement de deux journaux certes mais d’abord de deux écrivains. Dans son article intitulé « Le mépris de la charité », L’académicien du Figaro l’a nommément pris à partie. Dans sa réponse, il use de 46 « je » et de seulement 13 « nous », lesquels, en l’occurrence, désignent les humanistes laïques. On compte à peine moins de « je » que de « nous » dans les 8 articles consacrés à l’Algérie. Le « je » apparaît logiquement quand, en 1945, Camus annonce à ses lecteurs qu’i ????? éloigne une première fois. On ne s’étonnera pas enfin que des « je dis », « je sais » scandent l’article où il montre le racisme dont sont victimes les personnes originaires de Madagascar ou de l’Algérie. Par la suite, user de la première personne, c’es affirmer non pas sa singularité au journal, mais son indépendance par rapport aux machines partisanes.
Le ton fiévreux des premiers éditoriaux est celui de « l’illusion lyrique ». Tout semble possible. “Le Paris qui se bat veut commander demain”. Comme beaucoup de résistants, Camus a le sentiment que la Libération ouvre une ère nouvelle. C’est à lui qu’on doit le sous-titre du journal : « de la résistance à la révolution ». Plusieurs articles plaident pour une révolution démocratique dont l’épuration serait un gage. Mais il peine à en esquisser le programme et se contente de souhaiter « la conciliation de la justice et de la liberté, la mise en place simultanée d’une économie collective et d’une politique libérale, le bien de tous accordé au respect de chacun ».
Pourtant il lui faut vite déchanter. Dès octobre 1944, il constate que la France ruinée ne peut mener simultanément une guerre, la révolution rêvée et la nécessaire reconstruction. La géopolitique l’a située à l’Ouest et les GI campent sur son territoire. La démocratie est à réinventer, mais les forces issues de la Résistance qui ont vocation à être les vecteurs du changement historique, sont minoritaires et divisées. Qui sera l’artisan de la révolution ?
Camus se méfie d’un parti communiste adonné au « réalisme politique » et d’un parti socialiste où l’on trouve plus de notables que de militants. Le personnel politique ne s’est pas autant renouvelé qu’il l’aurait voulu. Les caciques de la Troisième République n’ont pas tardé à refaire surface. Les militants des réseaux clandestins, quant à eux, sont devenus des hommes politiques comme les autres et ont rejoint les partis existants. L’éditorialiste ne se grise pas de formules ronflantes. Il a l’honnêteté de dire que l’événement lui a appris la force des choses et la modestie. « Le temps de l’Apocalypse n’est plus. Nous sommes entrées dans celui de la médiocre organisation et des accommodements sans grandeur »
Plusieurs de ses articles balisent l’évolution d’un journal qui, en 1947, se place au centre-gauche. En 1950, Camus réunit un choix – très sélectif – de ses éditoriaux dans un livre titré Actuelles. « Ce volume, écrit-il dans la préface, résume l’expérience d’un écrivain mêlé pendant 4 ans à la vie politique de son pays (…). Les pages qui suivent disent simplement que, si la lutte est difficile, les raisons de la lutte, elles, restent claires ». Au moment où il rédige L’Homme révolté, il privilégie ceux de ses articles qui s’apparentent le plus à des essais ou à des dissertations et écarte ceux qui réagissaient à l’actualité et qu’il a jugé périssables. Ainsi ceux évoquant l’arrestation de Louis Renault ou la réélection de Roosevelt.
La postérité a gardé la controverse entre Camus et François Mauriac. Rarement opposition aura été aussi paradigmatique : Combat et Le Figaro. Belcourt et Malagar. Saint-Germain-des-prés et l’Académie française. Celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas. Chacun a eu le sentiment d’avoir trouvé un adversaire à sa mesure. Camus plaide pour que l’épuration frappe une classe dirigeante qui a trahi ou failli : la rénovation du pays est à ce prix. Mauriac craint des bavures, il tient à ce que cette épuration soit clairement circonscrite et que l’état de droit prévale. Le désaccord des deux ténors est politique. Le cours des événements (et le général de Gaulle) donnent raison à Mauriac et Camus en donne acte à son aîné. Il a tenu à ce que son autocritique figure dans Actuelles.
L’éditorialiste de Combat a pesé sur l’événement à plusieurs reprises. Quand il se prononce clairement contre la fusion du Front national et du Mouvement de libération nationale et que le journal donne une grande place au discours de Malraux, il contribue à empêcher que le Parti communiste prenne le contrôle de la résistance intérieure. Le 17 mai 1945, il s’indigne du retard mis à rapatrier les déportés de Dachau. Deux jours plus tard, il constate « avec joie et satisfaction » que les Américains ont enfin déployé les moyens nécessaires. D’où ce commentaire : « Si notre voix peut provoquer des remous nécessaires, nous l’emploierons sans épargner personne (…). Si notre précédent article a soulevé de l’émotion, c’est tant mieux. Il eût mieux valu que l’émotion n’eût pas besoin d’un article pour naître ». Cette voix a moins porté en d’autres circonstances. Camus a consacré plusieurs éditoriaux à l’Espagne. Franco va pourtant rester au pouvoir pendant trente ans encore. De même, sympathisant de la SFIO, il appuie, mais sans succès, Daniel Mayer le rénovateur contre Guy Mollet l’orthodoxe.
Il convient de faire un sort particulier aux 8 articles publiés avec le surtitre de Ni Victimes ni bourreaux. Quand ils paraissent en novembre1946, il y a plus d’un an que Camus n’a pas donné la moindre ligne à Combat. Le journal a perdu beaucoup de ses lecteurs. Il lui confie ce que l’on peut considérer comme un essai. L’ensemble aurait pu donner un petit livre. Il aurait pu paraître tel quel quelques mois plus tôt ou plus tard. C’est une réflexion philosophique, éthique et politique sur la violence, une réponse à Humanisme et terreur de Merleau-Ponty, un appel à la démarxisation du socialisme français, une théorisation de l’entreprise réformiste et un plaidoyer pour un nouvel ordre international.
On y trouve une formule vouée à un bel avenir : « la fin des idéologies ». Les « utopies absolues » sont anachroniques, inefficaces et dangereuses dans un monde qui change vite. (« L’histoire court pendant que l’esprit médite »). Camus leur oppose une « pensée politique modeste, c’est-à-dire délivrée de tout messianisme, et débarrassée de la nostalgie du paradis terrestre ». Ni Victimes ni bourreaux officialise sa sortie de la mouvance progressiste mais pose les grands enjeux du 21e siècle.
Le Combat de Pia a vécu moins de trois ans. Camus y a eu une présence à éclipses. En juin 1947, il se retire, renonçant à une tribune. Le journal passe alors entre les mains d’un militant progressiste, Claude Bourdet. La Peste paraît au même moment. Deux pièces, L’État de siège et Les Justes suivent. Camus travaille également à L’Homme révolté. Il compte désormais sur la fiction et l’essai pour faire connaître ses vues. Il renonce à commenter l’actualité. Il donne la priorité à son œuvre.
L’Express
Camus a sympathisé avec l’entreprise de Pierre Mendès France. C’est pour contribuer à son retour au pouvoir qu’il rejoint en 1955 L’Express, hebdomadaire puis quotidien. Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud lui offrent une tribune. Ses conceptions n’ont pas changé. En témoignent ces deux citations : « Les faits sont là et les idéologies doivent les reconnaître d’abord, pour ensuite, si elles ne veulent pas mourir, évoluer ». « La liberté d’expression suppose d’abord le droit à la réflexion : le délire est le contraire de la liberté »
Il a toute liberté pour choisir les thèmes de ses chroniques. Il évoque la vie politique française, condition ouvrière, le bicentenaire de Mozart. Comme dans Combat, il continue d’opposer les réformes nécessaires et la révolution qui est dangereuse et passéiste. Pour la seule fois de sa carrière, il donne une consigne de vote le 30 décembre 1955. Sa chronique est un éditorial de fait : il y appelle à voter pour le Front républicain.
L’éventail de ses préoccupations est donc large, il est politique, social, culturel. Plusieurs chroniques se situent dans la continuité d’éditoriaux de Combat, comme pour signifier que leur auteur n’a pas changé. L’une évoque l’arme atomique et l’équilibre de la terreur, renvoyant clairement au fameux éditorial paru au lendemain de l’explosion d’Hiroshima mais aussi à la fin des idéologies. Rendre hommage à Gandhi présenté comme l’anti-Lénine, c’est se réaffirmer non-violent. Les trois chroniques consacrées à l’Espagne sont une autre preuve de fidélité à soi-même. Une part importante de ses 35 chroniques porte sur la guerre d’Algérie qui obsède et tourmente camus. Il y expose sa vision de l’événement et esquisse des solutions. Il use abondamment de la première personne : « je prendrai donc parti », « je sais », « j’ai une proposition à faire », « je vais donc parler de ce que je suis ».
À cela plusieurs raisons : il veut communiquer à ses lecteurs métropolitains l’expérience et la mémoire dont il est le dépositaire, alors que la presse métropolitaine joue mal son rôle, véhiculant des préjugés. Il a le sentiment que sa connaissance du dossier lui donne une tâche historique. Il entend faire œuvre de pédagogue, il rappelle des réalités mal connues, les frustrations sociales et politiques des masses arabes rassasiées de promesses jamais tenues, l’amertume des Français, souvent de modestes salariés et commerçant, assimilés à des nababs, les responsabilités politiques des élus et gouvernants qui, capitulant devant les mandataires des grands colons, ont désespéré les militants et les élites arabes.
Le « nous » désigne désormais les Français de la métropole. Le chroniqueur veut croire qu’il n’est pas trop tard, que le pire n’est pas sûr. C’est pourquoi, après avoir donné son diagnostic, il propose des méthodes et avance des propositions. Il faut que des représentants des deux communautés se parlent. Dans une deuxième vague d’articles, il fait connaître le projet d’une trêve civile qui vise à épargner du sang innocent et à empêcher la montée aux extrêmes. On sait que cette entreprise courageuse mais utopique échoua en partie par la faute du gouvernement de Guy Mollet.
La logique de guerre prévaut des deux côtés. L’adepte du parler vrai dispose d’une tribune, mais c’est un homme seul. L’Express héberge ses chroniques, mais ne les orchestre pas. Camus mesure les limites de son influence. La ligne réformiste de L’Express convient grosso modo à Camus, pas ses méthodes, son style qu’il juge trop américanisé. C’est, découvre-t-il, le journal non de Mendès France mais de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Il s’adresse aux élites modernistes qui veulent être informées. JJSS est ce que n’était pas Pia, le patron d’une entreprise. Son ego surdimensionné se projette bien plus loin que le Front républicain. Le chroniqueur né dans le peuple n’a pas pour l’héritier pressé et mondain d’une dynastie bourgeoise le respect qu’il avait pour Pascal Pia. Il se trouve en porte-à-faux. Quand, en février 1956, il apparaît que Guy Mollet a tiré les marrons du Front républicain, il quitte L’Express sans trop de regrets et achève La Chute.
Les trois expériences que j’ai présentées brièvement sont différentes. L’ancien communiste participe à une entreprise militante : il prend parti, il polémique à l’occasion et y prend manifestement plaisir. Le résistant occupe un poste stratégique. Il exerce un magistère et pèse sur la vie publique. Soucieux d’éviter « le mélange des genres », il tient à ne pas apparaître comme écrivain et ne donne pas de bonnes feuilles de La Peste au journal. L’écrivain arrivé enfin apporte la caution de son prestige à un journal où il n’est au fond qu’une pièce rapportée. On a souvent dit que la politique en France est très littéraire.
Camus s’est voulu professionnel à Combat. Ses éditoriaux sont des exercices de réflexion, pas de rhétorique. Ils ne s’ornent pas de citations bibliques ou classiques. Il ne cherche pas la prime de séduction qu’apporte l’ostentation de références et d’allusions, les titres accrocheurs. Mais il soigne la chute de ses articles. Souvent elle est faite d’un grand mot – justice, raison, vérité. L’écrivain et le journaliste ne se sont pourtant pas séparés. On repère de solides liens intertextuels, une circulation des formules entre, par exemple, Ni Victimes ni bourreaux et la confession de Tarrou dans La Peste.
Les chroniques de L’Express sont plus littéraires. On y note la récurrence des mêmes métaphores, le fossé, le feu, le sang, le pourrissement, dans les articles sur l’Algérie. La culture commune à l’auteur et à ses lecteurs est cette fois mise à contribution. Sont évoqués Gilliatt, Tartarin, Titus et Bérénice, le yogi et le commissaire de Koestler, Vautrin et Rubempré, Don Camillo et Peppone. Des titres comme « l’enfant grec », « les déracinés », « la vie d’artiste » comportent des signes de connivence. Chateaubriand, Bernanos, Sade, Baudelaire, Simone Weil, Saint-Exupéry sont cités tour à tour. Jamais il n’est question, même allusivement, de Sartre. L’écrivain n’utilise pas sa tribune pour régler des comptes. Il réserve sa réplique à La Chute. Qu’il vise les journalistes ou les hommes politiques, « rhétorique » est un mot généralement péjoratif sous la plume de Camus. Il qualifie une parole outrée, artificieuse et inauthentique. Sa voix est concise mais élégante. La forme strictement calibrée, le genre de l’éditorial correspondent au talent classique de Camus qui préférait Chamfort à Chateaubriand. Un éditorial, a-t-il dit un jour, nécessite « une idée, deux exemples, trois feuillets », un reportage « des faits, de la couleur, des rapprochements ».
Les articles de Camus sont néanmoins souvent écrits sur le modèle des grands genres, ils en sont des miniaturisations. Ce sont des récits, des essais, voire des dialogues dramatiques. Manquent des poèmes en prose. Le journaliste est un témoin et un spectateur, il est parfois un voyeur, il est souvent tenté de devenir acteur. Camus a conscience de ses responsabilités. Parce que plusieurs centaines de milliers de personnes, chaque jour, lisent son éditorial de Combat ou en ont connaissance par une revue de presse, il est attentif aux effets de lecture et de réception. C’est pourquoi il pèse, il dose ses formules. Il lui arrive après coup d’émettre des doutes, liés sans doute à son expérience de L’Express. « Il est certain que le fait d’écrire un éditorial entraîne nécessairement des concessions, tant à l’égard de l’opinion publique que des confrères qui s’expriment dans la même feuille. Cela contribue à en dire plutôt moins que trop ». Quel qu’ait été son soin à rédiger ses articles, Camus reste de ceux pour qui les articles sont par nature éphémères. L’écrit journaliste est une denrée périssable. Il a ses servitudes. L’actualité passe. L’écrivant, qu’il soit reporter ou éditorialiste, s’adresse à des contemporains, et seulement à eux. L’homme politique, de même, inscrit son action dans une durée courte.
L’écrivain, lui, destine ses œuvres à la fois à ses contemporains et à la postérité. La fiction littéraire appelle des réceptions différées ou éloignées. C’est par ses romans et son théâtre que Camus est devenu un classique de la littérature mondiale. Il n’en pas moins été un grand journaliste.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01446668/file/JyGuerin_LejournalisteCamus.pdf
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Un texte inédit d’Albert Camus retrouvé dans les archives du général de Gaulle
Publié le 1 janvier 2020 «“D’un intellectuel résistant” est l’un des rares inédits de Camus à avoir échappé à l’enquête des camusiens», dit l’historien Vincent Duclert qui l’a découvert. .. Cet inédit est publié dans Le Figaro, en exclusivité avec l’accord de Catherine Camus.
Dans un texte de trois feuillets rédigé par Albert Camus en 1943, l’intellectuel examine l’état d’esprit des Français sous le régime de Vichy. Le document était destiné aux forces en lutte contre le maréchal Pétain.
Ce document a été écrit dans la clandestinité, en France, par un Albert Camus alors âgé de 30 ans. Le contexte est assez simple à retracer : depuis Alger, le Commissariat à l’Information du Comité de la Libération Nationale sollicitait “clandestinement des analyses de journalistes et de penseurs demeurés en France occupée”. Cela permettait aux forces en lutte contre le régime de Vichy de se faire une idée de l’état de l’opinion en métropole.
Cet état d’esprit se retrouve donc dans le texte d’Albert Camus. Et peut se résumer en deux mots : l’angoisse et l’incertitude. L’angoisse, c’est celle d’un pays meurtri qu’il faudra bientôt reconstruire, et ce le plus vite possible, “dans une lutte contre la montre” pour “l’avenir même de la nation”, souligne Camus. L’incertitude, c’est celle d’un avenir français qui ne pourra s’écrire sans la contribution intellectuelle des élites. “Car si la guerre tue les hommes, elle peut aussi tuer leurs idées avec eux”, explique Albert Camus, qui rappelle enfin l’urgence de voir la Résistance Extérieure venir appuyer militairement celle de l’Intérieure.
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“City of Refuge,” which tells the little-known story of a cluster of French villages on a remote plateau that rescued 5,000 refugees during World War II. All throughout my research, Albert Camus and “The Plague” kept popping up. It was mainly as just a side note, because, as it happens, the famous French-Algerian author wrote much of the novel while living on the plateau in one of those courageous villages. He was, in essence, completely surrounded by people doing everything they could to save the lives of those in need. albert-camus-the-plague-nonviolent-resistance-rescue-wwii-coronavirus/
La première fois qu’Albert Camus vient au Mazet-Saint-Voy, c’est en juillet 1942, avec son épouse, Francine. La grand-tante de cette dernière, Sarah Oetly, tient alors une pension de famille dans une ferme-forteresse, avec tour et portail à créneaux, à « Panelier », sur une petite route reliant Le Mazet-Saint-Voy au Chambon-sur-Lignon.
Camus est malade. Son pneumothorax l’oblige à quitter l’Algérie et Oran, cité étouffante, pour une région au climat vivifiant. Camus marche, et s’attache à une chatte qu’il baptise Cigarette. À l’automne 1942, sa femme repart en Algérie. Il ne pourra pas la rejoindre, car les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord le 8 novembre.
À « Panelier », on écoute les émissions de la BBC. Surtout, Camus travaille. Il écrit Le Malentendu, et une partie de La Peste. Certains se plaisent à trouver, au détour des pages de ce livre, des noms rappelant son séjour à « Panelier ».
Après la guerre, il séjourne régulièrement, en famille, au Chambon-sur-Lignon. Sa fille Catherine, née en 1945, se souvient : « Dès l’âge de 2 ans, j’ai passé beaucoup de vacances heureuses avec mes parents, au pied des grands arbres, au milieu des fleurs, avec le chant du Lignon. »
L’histoire du plateau du Chambon sur lignon, en particulier celle de ses trois résistances : résistance armée (maquis, parachutages), résistance civile (enfants juifs et résistants cachés) et résistance spirituelle (protestants et catholiques du Plateau du Chambon sur Lignon).
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Four Letters: Camus’ Correspondence of Resistance :
. . . the more specific aim of the letters was to address the situation in Europe during World War II, and related immediately to the impulses and actions of the Germans towards the occupied French.
four-letters-camus-correspondence-of-resistance/
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JStor : Camus dans la Résistance par Jacques Hardré
The French Review, Vol. 37, No. 6 (Mai, 1964), pp. 646-650 (5 pages)
Publié par : Association américaine des professeurs de français
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Camus’ collection of essays on activism came out in 1957 – called Actuelles III – followed by Resistance, Rebellion & Death, in 1960.
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On oublie souvent que ce romancier et philosophe de l’absurde était aussi un activiste politique – il avait été membre de la branche algérienne du Parti communiste français au milieu des années 1930 et était organisateur d’une compagnie de théâtre d’Alger qui jouait des pièces d’avant-garde et politiques – ainsi qu’un journaliste engagé dans une croisade.D’octobre 1938 à janvier 1940, il a travaillé au journal Alger Républicain et au journal associé. D’octobre 1938 à janvier 1940, il a travaillé au journal Alger Républicain et à un journal associé. En juin 1939, il écrit une série de reportages sur la famine et la pauvreté dans la région côtière montagneuse de Kabylie, parmi les premiers articles détaillés jamais écrits par un Algérien européen décrivant les conditions de vie misérables de la population indigène.
Après le début de la Seconde Guerre mondiale, Camus devient rédacteur en chef du Soir républicain et s’oppose à l’entrée en guerre de la France. Camus et son mentor Pascal Pia ont ainsi porté préjudice à leur quotidien de gauche parce qu’ils rejetaient l’urgence de combattre le nazisme, une des périodes les plus surprenantes mais les moins commentées de sa vie. Comprenant mal le nazisme au début de la guerre, il préconise des négociations avec Hitler qui, au moins en partie, effaceront les humiliations du traité de Versailles. Son pacifisme s’inscrit dans une tradition française bien ancrée et Camus se présente au service militaire par solidarité avec ces jeunes hommes, comme son frère, devenus soldats.Ayant l’intention de servir loyalement mais de plaider dans les casernes pour une paix négociée, il est furieux que sa tuberculose le disqualifie (Lottman, 201-31 ; Aronson 2004, 25-28).
Ces faits biographiques sont pertinents pour le développement philosophique de Camus après Le mythe de Sisyphe. S’installant en France et s’engageant dans la résistance à l’occupation allemande, dans deux “Lettres à un ami allemand” publiées clandestinement en 1943 et 1944, Camus s’interroge sur la justification de la violence contre les occupants. Il parle de “la haine que nous [les Français] éprouvons pour toute guerre” et de la nécessité “de savoir si nous avons le droit de tuer des hommes, si nous pouvons ajouter à l’effroyable misère de ce monde” (RRD, 8). Méprisant la guerre, se méfiant de l’héroïsme, il affirme que les Français occupés ont payé cher ce détour “avec des peines de prison et des exécutions à l’aube, avec des désertions et des séparations, avec des frissons quotidiens de faim, avec des enfants émaciés, et surtout, avec l’humiliation de notre dignité humaine” (RRD, 8). Ce n’est que lorsque nous étions “aux portes de la mort” et “loin derrière” les Allemands que nous avons compris les raisons de nous battre, afin que désormais nous luttions avec une conscience claire et “les mains propres”. Notre force morale était enracinée dans le fait que nous luttions pour la justice et la survie nationale.Les lettres qui suivirent continuèrent à opposer les Français aux Allemands sur des bases morales directement tirées de la philosophie de Camus, et suggérèrent le passage du mythe de Sisyphe au rebelle : si les deux adversaires commençaient par avoir le sentiment de l’absurdité du monde, Camus affirmait que les Français vivaient dans cette conscience, tandis que les Allemands cherchaient à la surmonter en dominant le monde.
L’engagement anti-nazi de Camus et son expérience de journaliste l’ont amené à succéder à Pia en mars 1944 en tant que rédacteur en chef de Combat, le principal journal clandestin de la gauche non communiste. Cependant, après la Libération, la question de la violence continua à l’occuper tant politiquement que philosophiquement. Son allégorie des années de guerre, La Peste, dépeint une résistance non violente à une peste inexpliquée, et en 1945, il fut l’une des rares voix à s’élever pour protester contre l’utilisation d’armes nucléaires par les États-Unis pour vaincre le Japon (Aronson 2004, 61-63). Après la Libération, il s’est opposé à la peine de mort pour les collaborateurs, s’est retourné contre le marxisme et le communisme pour avoir embrassé la révolution, a rejeté la guerre froide qui se profilait à l’horizon et la violence qui la menaçait, puis a commencé à exposer dans The Rebel sa compréhension plus profonde de la violence.
Le reste – https://plato.stanford.edu/entries/camus/
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