Bierstube Magie allemande Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Le Roman inachevé (1956).
“Est-ce ainsi que les hommes vivent” est un vers tiré de Bierstube Magie Allemande, un poème de Louis Aragon (poète français, 1897-1982) paru dans le Roman inachevé, en 1956. Ce Roman inachevé est une œuvre originale: il s’agit de l’autobiographie du poète…en vers !
Bierstube Magie Allemande évoque l’époque où Louis Aragon était soldat et fréquentait assidûment les bordels. Léo Ferré, Marc Ogeret, Bernard Lavilliers, Yves Montand, ou encore Philippe Léotard, en ont chanté une adaptation sous le titre Est-ce ainsi que les hommes vivent ? lalleedesmots
Et douces comme un lait d’amandes
Mina Linda lèvres gourmandes
Qui tant souhaitent d’être crues
A fredonner tout bas s’obstinent
L’air Ach du lieber Augustin
Qu’un passant siffle dans la rue
Sofienstrasse Ma mémoire
Retrouve la chambre et l’armoire
L’eau qui chante dans la bouilloire
Les phrases des coussins brodés
L’abat-jour de fausse opaline
Le Toteninsel de Boecklin
Et le peignoir de mousseline
Qui s’ouvre en donnant des idées
Au plaisir prise et toujours prête
Ô Gaense-Liesel des défaites
Tout à coup tu tournais la tête
Et tu m’offrais comme cela
La tentation de ta nuque
Demoiselle de Sarrebrück
Qui descendais faire le truc
Pour un morceau de chocolat
Et moi pour la juger que suis-je
Pauvres bonheurs pauvres vertiges
Il s’est tant perdu de prodiges
Que je ne m’y reconnais plus
Rencontres Partances hâtives
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus
par noiretblanc66 sur YouTube
.
Léo Ferré – Est-ce ainsi que les hommes vivent ? (Live avec choeur à l’Alhambra)
par DZYoutube LLA sur YouTube
a été utilisé par Leo Ferré ->
Tout est affaire de décors
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit
.
.
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenait mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola
.
.
Elle était brune et pourtant blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu
Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
.
.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
par Léo Ferre
Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
A quoi bon puisque c’est encor
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays
Coeur léger coeur changeant coeur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes jours
Que faut-il faire de mes nuits
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
Le pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Dans le quartier Hohenzollern
Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais de m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons et des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke
Elle était brune et pourtant blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence
Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore n verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus.
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<- Texte dit par J.-Cl. Céziers
sur une musique de G. Zamfir.
by mayasurya (in lyricstranslate.com)
Everything is a question of decor.
Changing beds, changing bodies,
What’s the point, since once again, it’s
Me who betrays myself,
Me drags and scatters myself
And my shadow undresses itself
In the girlish arms
Where I believed I’d find a country.
A light heart becomes a heavy heart.
The time for dreaming is very short.
What am I supposed to with my days?
What must I do with my nights?
I didn’t have love, and no place
Where I live or die remains.
I passed like a rumour,
I slept like the noise.
Is this how men live?
And their kisses follow them from afar?
It was an unreasonable time,
We put the dead at the table
We made sandcastles
We took wolves for dogs.
All changed, from center to shoulder
The play, whether it was funny or not.
Me, if I badly sustained my role
It was from not understanding anything.
In the Hohenzollern district,
Between the Saar and the barracks,
Like the flowers of the alfalfa
Flowered Lola’s breasts.
She had the heart of a swallow.
On the brothel-couch,
I had just lain down beside her
Among the hiccups of the piano.
Is this how men live?
And their kisses follow them from afar?
The sky was grey with clouds
There were wild geese flying in it
Who cried of death, in passing
Above the houses of the docks.
I saw them through the window.
Their sad song entered into my being,
And I thought I recognised in it
Rainer Maria Rilker.
She was dark, she was pale,
Her hair fell to her hips.
And during the week, and on Sunday,
She opened naked arms to all.
She has eyes like glazed tiles
As valiantly she toils
For an artillery man from Mayence
Who never comes back again.
Is this how men live?
And their kisses follow them from afar?
There are other soldiers in the city,
And at night, the civilians come up.
Reapply mascara to your eyelashes,
Lola, who will be with you soon.
Another glass of liquor.
It was in April, at five o’ clock,
At dawn, when into your soft heart
A dragon plunged his knife.
Is this how men live?
And their kisses follow them from afar
Like suns departed?
I hope this translation was useful to you. use it wherever, I don’t mind. i write evocative translations rather than precise ones so this might not be “word for word”.
Submitted by mayasurya – 21/05/2015
“Louis Aragon, Bierstube Magie allemande et Est-ce ainsi que les hommes vivent”
par arthursyel
Autres temps, autres talents, autres amours, autres sensibilités… La plus belle interprétation, orchestration, de cette chanson “Est-ce ainsi que les hommes vivent” est à mes yeux celle de Bernard Lavillier dans son album “O Gringo” (1980). Elle est à mes yeux bien supérieure à l’interprétation de Léo Ferré. Comparer les interprétations musicales d’une même chanson, dont la musique et a fortiori bien sûr les paroles sont déjà écrites, est un bel exercice car révélateur du réel talent musical, inventif et interprétatif, de ce qui pourrait apparaître comme le simple exercice, la simple mimique à pauvre valeur ajoutée d’un chanteur-interprète -sujet éternel et universel, qui vaut pour tous les arts- ! On assiste ainsi, parfois, comme ici avec Bernard Lavillier, rare miracle alchimique et mystérieux, à une réelle transmutation et résonance entre les sonorités et évocations poétiques des mots et la musique qui, par bonheur, leur est associée, décuplant ainsi ce pouvoir évocateur et sonore des mots, des images et sons, en résonance dans nos têtes ! Le mot “magie”, celui de la première ligne du poème et du titre de la chanson, grâce à ce phénomène de correspondances, d’amplification, entre mots et musique, trouve là, fort opportunément, un sens démultiplié et renouvelé !
Les paroles d’Aragon ainsi mises en chanson, dans cette belle interprétation et orchestration de Lavillier, évoquent plus que jamais, pêle-mêle… l’éloignement, le voyage, le déracinement, mélant peur de très réels risques et pourtant attrait de la nouveauté, mal à l’aise et vague à l’âme, nostalgie d’un passé probablement perdu, l’étrange et l’étranger, la poésie à la fois dramatique et insouciante de l’éphémère, un aléatoire -peut-être même, qui sait, dernier- instant, telles toutes ces situations de guerre, surtout pour un militaire, surtout dans une ville de garnison, surtout en territoire occupé, misérable et désespéré, même après une trop chère payée et, qui sait, provisoire victoire, aux confins d’une guerre bien sûr sale et triste, avec son lot d’atrocités, de cruauté et d’immense misère, où vaincus comme vainqueurs ont en commun de chercher à assouvir faim et soif désespérées de tout, nourriture et tendresse, ces situations où l’on vit dans l’instant, mais souvent avec du temps, beaucoup de temps libre, désoeuvré, à attendre impuissant un événement extérieur, un ordre quelconque signifiant un départ incertain -assaut hors de la tranché ou simple permission hors de la caserne, ou démobilisation-, temps libre, infiniment disponible, à observer un environnent étrange et étranger, voire hostile, auquel rien ne lie, ces situations sans réel lendemain, sans plans ni futur, où tout peut arriver, où tout est à la fois permis et dangereux, pour les vainqueurs comme pour les vaincus, où les rôles et les convenances sont bouleversés, où l’amour ne peut être qu’un jeu éphémère et illusoire, bien souvent vénal.
On imagine en entendant l’interprétation de Lavillier, ce monde en noir et blanc, images rayées d’un passé, d’un univers lointain; puis on entend probablement, peu à peu le bruit de vieux projecteur mécanique, qui tourne à vide, soudain rapidement, désespérément… On voit ainsi défiler, par exemple, tel ce ciel gris avec des oies sauvages, quelques rares images du merveilleux “Coup de grâce” de Volker Schlöndorff, film -en noir et blanc- tiré du beau et triste roman de Marguerite Yourcenar.
D’autres images, d’autres sensations et souvenirs naissent avec cette musique. Ces paroles du poème d’Aragon exhalent le poignant, le suffoquant de l’attente -parfois délicieux, il est vrai peut-être, telle cette suspension, précipitation de l’âme, dans le vide*, ou encore le bref pincement au coeur de la nouveauté-, de l’attente de ces temps de guerre, de ces contrées ou situations étranges -sort subi, incertitude, hasard, danger, menace, mort qui rode soudain, moins lointaine-. . . .
Aragon scande ainsi en musique sous forme d’incantation la mémoire de son passé fait d’incertitude, sublimé, magnifié, bien plus que rêvé : “/Rencontres Partances hâtives/Est-ce ainsi que les hommes vivent/…/Tout est affaire de décors/Changer de lit changer de corps/…/Je passais comme la rumeur/” . .
En 1956 Aragon, étonnant phénix, cherchait à travers ce poème Bierstube dans son passé, celui de cette étrange attente de sa démobilisation de 1918-1919 à Saarbruck, le moyen de dépasser son art, de le renouveler. Soudain fort inspiré si ce n’est soudain voyant, devenu autre, il nous rappelait avec ce Bierstube que toute certitude n’est bien qu’illusoire, à jamais, tout comme cette quête vers ce point d’équilibre de l’esprit cher à son ex-ami Breton. Gracq s’imaginait pouvoir arriver, Aragon se savait à jamais en partance. Le seul véritable posture surréaliste, incomparable et provocatrice, d’Aragon avait été probablement la persistance, jusqu’à sa mort, de son adhésion au Parti Communiste Francais ! Pour le reste, nous ne pouvons que saluer ici, avec Bierstube, le renouvellement constant de sa quête poétique, hors des normes.