L’Étranger – A. Camus

A. L’Étranger – Le Personnage de Mersault :

Le personnage principal de ce roman, L’Étranger par Albert Camus, s’appelle Meursault, est aussi le narrateur. Nous rencontrons ici un personnage-narrateur dont les premiers mots étonnent et même mystifient le lecteur. Des phrases courtes ainsi que le vocabulaire et la structure de base dissuadent de le contacter, de reconnaître en lui une partie de l’humanité familière. La rencontre avec ce personnage anonyme est un choc. La dernière phrase du roman nous laisse tout aussi perplexe? Lorsqu’il pense à son exécution, il parle avec une étrange confiance.

Comme l’auteur, il n’a pas connu son père. Il a une maîtresse qui s’appelle Marie. Il vit dans une étrange insensibilité et indifférence. Il refuse de mentir et se comporte comme si la vie n’avait pas de sens, étranger à la société dans laquelle il vit. Il ne parle pas pour ne rien dire, il n’est pas très bavard.

Camus a écrit dans la préface de la première édition américaine du roman:
« J’ai résumé l’Étranger, il y a très longtemps, par une phrase dont je reconnais qu’elle est très paradoxale : dans notre société, tout homme qui ne pleure pas à l’enterrement de sa mère risque d’être condamné à mort. Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu’il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre en marge dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c’est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave (a derelict / un objet abandonné ).

On aura cependant une idée plus exacte du personnage, plus conforme en tout cas aux intentions de son auteur, si l’on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple, il refuse de mentir. Mentir, ce n’est pas seulement dire ce qui n’est pas. C’est aussi, c’est surtout dire plus que ce qui est, et, en ce qui concerne le cœur humain, dire plus qu’on ne sent. C’est ce que nous faisons tous, tous les jours, pour simplifier la vie.

Meursault, contrairement aux apparences, ne veut pas simplifier la vie. Il dit ce qu’il est, il refuse de masquer ses sentiments et aussitôt (toute de suite) la société se sent menacée. On lui demande par exemple de dire qu’il regrette son crime, selon la formule consacrée. Il répond qu’il éprouve à cet égard plus d’ennui que de regret véritable. Et cette nuance le condamne.

Meursault pour moi n’est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombre. Loin d’être privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l’anime, la passion de l’absolu et de la vérité. Il s’agit d’une vérité encore négative, la vérité d’être et de sentir,. . On ne se tromperait donc pas beaucoup, en lisant dans l’Etranger l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. » . (Camus)

1. Un personnage sensuel
Meursault est très sensible à la nature qui l’entoure, aux variations de la lumière, aux messages que lui envoient ses cinq sens. . . . . .

2. Un homme indifférent ?
Meursault n’est que sensibilité, contact avec la nature, mais il est obligé de vivre parmi les hommes. Et il ne parvient pas à « jouer le jeu » social. Ce que la société attend de lui, il ne sait pas le lui donner . . . .

3. Un homme absurde
Longtemps il s’en accommode pourtant, faisant semblant, tout en percevant leur absurdité. Mais finalement on lui demande trop fortement de jouer le jeu, et il refuse. Sa révolte monte de manière presque insensible lors de son procès. Le jeu social est alors à son maximum : l’aspect théâtral des débats de la justice, surtout quand il en vient à mettre en cause ses amis et sa maîtresse, lui est insupportable. Mais finalement, c’est un autre aspect de ce jeu social, tout aussi rituel que l’institution judiciaire qui va faire « crever quelque chose en [lui] », la religion . . . .

Comment Camus aurait-il pu introduire un personnage aussi inhabituel, et s’attendre à ce qu’il soit accepté? Certains lecteurs ont vu dans Mersault un exemple d’un homme atteint du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme. Sans doute, il présente de nombreux symptômes qui encouragent cette opinion.

Le syndrome d’Asperger est un trouble de la famille de l’autisme. Il se distingue par le fait que l’intelligence de la personne atteinte demeure intacte, bien que les troubles neurologiques affectent l’activité du cerveau. Il entraîne une perception différente de la vie et du monde, et des anomalies dans les interactions entre personnes.

Le syndrome d’Asperger se manifeste donc par des difficultés à communiquer, à établir des rapports sociaux, à supporter le bruit ou un environnement très stimulant. Les personnes atteintes ont des difficultés à comprendre l’abstrait et les émotions. Ils sont capables d’éprouver des sentiments tels que l’amour, mais de façon différente.

Chez l’adulte, le syndrome d’Asperger continue à présenter des symptômes avec trois axes :
– Une altération de la communication, c’est-à dire une difficulté dans la communication verbale et non verbale. Une personne présentant ce symptôme a du mal à décoder une expression du visage, la tonalité de la voix, l’humour, et le sens des gestes. Il peut donc sembler distante, froide.
– Une altération qualitative des interactions sociales, c’est-à-dire une difficulté à créer des liens avec d’autres ou à avoir des amis. Il y a des difficultés dans les échanges émotionnels amicaux et amoureux.
– Des intérêts restreints ( restricted ) et des comportements répétitifs et stéréotypés.

Je pouvais voir beaucoup de ces caractéristiques dans la personnalité de Mersault, en particulier dans la première partie du roman. Cependant, j’ai tendance à croire que Camus n’avait pas l’intention de le faire parce que:
– Il a une explication différente pour le personnage (voir ci-dessus).
– L’Asperger s’agit également d’une forme d’autisme diagnostiquée pour la première fois en 1944, deux ans après la publication de L’Etranger par Camus. Il n’avait jamais entendu parler de ce syndrome.
– De plus, la personnalité de Mersault s’est développée au cours du roman d’une manière qui serait impossible pour une personne souffrant de troubles d’Asperger.
Note:
Pour mieux comprendre Meursault, il faut se reporter à l’essai écrit par Camus la même année que l’Étranger, le Mythe de Sisyphe. Il y présente le personnage de la mythologie grecque comme un symbole de l’absurdité du monde. Face à cette dernière, Camus entrevoit, pour tout homme conscient, trois possibilités : le héros absurde, le suicidaire et le croyant :

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B. Les Thèmes Principaux

• La mort est un thème omniprésent du roman.
– Au début, il y a l’annonce de la mort de sa mère, suivie de l’enterrement.
– À la fin de la première partie, l’assassinat de l’arabe par Mersault a lieu au bord de la mer.
– Vers la fin, il est condamné à mort, puis attend sa mort et finalement, à sa manière, il l’accepte.

• Absurdité qui est la séparation entre l’homme et le monde. Meursault vit dans un monde dont il ne comprend pas le sens. Il n’a pas de sentiments normaux comme le montre:
– son indifférence à la mort et à l’enterrement de sa mère,
– sa réponse à la question d’amour de Marie, ou
– sa réponse à son patron qui lui proposait un travail à Paris.
– ses réponses aux questions lors de la préparation du procès verbal.

• La révolte contre les conventions de la vie, les jeux que les gens jouent, les mensonges qu’ils disent pour rendre la vie plus supportable, pour lisser leurs relations avec les autres. Mersault n’a rien de tout cela.
– Il n’est pas d’accord avec son avocat, qui lui suggère de donner une raison plus acceptable mais fausse de son manque d’émotion lors des funérailles de sa mère.
– Il répond sincèrement au tribunal, sans ruse et sans tenir compte, des conséquences de ses propos, même lorsqu’il s’agit d’une question de vie ou de mort pour lui.

• Conscience de la vie dans un monde indifférent. Le développement de la personnalité et des idées de Mersault se poursuit tout au long du roman.
– Il comprend de temps en temps sa mère.
– Il ressent de l’émotion pour Celest, le restaurateur.
– En approchant de la mort, il se rend compte qu’il était content.
– Il devient plus conscient de l’absurdité de sa vie et l’accepte.

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C. L’incipit et L’excipit de L’étranger – un comparaison

I Un héros déconcertant, surprenant

Meursault est le narrateur et ce roman n’est constitué que de son point de vue.
– l’ incipit commence in medias res ; on prend le récit en plein milieu des pensées du personnage sans savoir qui il est.
– Des phrases ressemblants à des notes : phrases courtes qui manquent de liens entre elles (“Il faisait tres chaud …”).
– le lecteur sait seulement ce que le narrateur veut lui dire: – dans l’incipit: le narrateur ne partage pas ses sentiments sur la mort de sa mère.
– dans l’excipit: on atteint ses sensations “odeurs de nuit, …” “la merveilleuse paix” “tendre indifférence”.
2) Ce personnage-narrateur ne répond pas aux attentes classiques d’un personnage littéraire.
– Absence d’infos sur -son identité – son statut social – sa condition sociale – ses sentiments.
3) Meursault surprend par son discours.
– Dans l’incipit : il ne s’intéresse qu’à l’aspect administratif et social de la mort, ce qui est contraire aux attentes du lecteur.
– Dans l’excipit : il semble heureux alors qu’il est condamné à mort, il se sent libre alors qu’il est en prison, « cris de haine » alors qu’il vient de dire qu’il s’est réconcilié avec le monde.

II Un personnage qui évolue de l’incipit à l’excipit

1) Sa relation aux autres a changé
– Incipit: personnage soucieux des apparences et des normes
– Excipit: caractère provocateur face à ses actions et au regard des autres. “Cris de haine”
2) Sa vision de la mort a changé
– Incipit: la mort est perçue comme une routine après laquelle nous passons à autre chose (“affaire classée”) et à une affaire administrative.
– Excipit: la mort est le terme inévitable de la vie qui lui donne de la valeur.
3) Le discours autour de sa mère évolue
– Incipit: banalité de la parole / “nous n’avons qu’une mère”. Peu d’intérêt consacré à sa mère mais plutôt aux conséquences de sa mort pour lui.
– Excipit: “Pour la première fois, j’ai pensé à maman” / “Je la comprenais” / il a réfléchi sur la fin de vie de sa mère.

III Le roman est un voyage au cours duquel le personnage acquiert plus de profondeur.

1) Une fusion avec le monde:
– Incipit: un personnage qui fait partie du monde presque sans le percevoir.
– Excipit: il y a moins de distance entre lui et le monde (“étoiles sur le visage”). Il accorde plus d’attention aux sensations; des bruits et des odeurs.
2) De la mort à la renaissance
– Incipit : mort ayant aucunes consquences, elle est sans effets sur lui.
– Excipit : la mort suppose une découverte « pour la 1ère fois », « recommencer » ; une libération = « libérer » « purger » « s’ouvrir ».
3) D’une absence de communication à la dimension poétique du langage
– Incipit : style neutre comme un télégramme qui ouvre le roman et qui se tient aux faits : mère décédée, enterrement demain.
-Excipit : style poétique, lyrique. Camus emploi d’images

Conclusion
Au début du roman, le personnage apparaît comme un étranger aux lecteurs par rapport à sa façon de penser. Le lecteur ne peut s’identifier au personnage puisqu’il ne sait rien sur lui. On lit l’incipit en se sentant indifférent l’envers.
En revanche, à la fin du roman, le Mersault a évolué. Il considère toujours le monde comme absurde, mais il est plus attentionné, et il parle de manière à ce que le lecteur puisse comprendre. L’excipit saisit également la sympathie du lecteur. Il surprend le coeur et le souffle en éclats.